De fincas en fincas

Je vous ai laissés devant la finca d’Andres. Nous avons ensuite passé 15 jours incroyables.

Andres (rencontré à Mompox avec son amie Dalila) travaille pour la fédération des producteurs de café afin d’améliorer la qualité de production des exploitations. Il passe ses week end dans la finca de son père et ils travaillent ensemble à leur propre production de café près de Guadalupe. Il y a aussi Don Pacifico, un grand oncle d’Andres. Il ne cuisine qu’au feu de bois et prépare du yuka presque toute la journée en parlant. Nous ne comprenons pas tout mais il est très attachant! Nous passons trois jours avec eux à partager un peu de leur quotidien, moments précieux pour nous. Andres est passionné par son travail, le café et sa région. Il est généreux et inspirant. Nous campons près du moulin à café qui permet d’enlever la cosse et la pulpe et de libérer le grain. Il est ensuite mis à sécher dans la serre sur le toit.

Andres nous montre les plans de cafés toujours à l’ombre de grands arbres pour éviter qu’ils ne brûlent (culture agroforestale avec des arbres de ricin) sur des parcelles extrêmement pentues. Les feuilles d’un vert sombre luisent au soleil. La récolte s’est terminée ici en Décembre même si démeurent ici et là, quelques fleurs et quelques graines. Entre les plants, nous découvrons aussi du maïs et du yuka pour la diversité des plantations. La vue de leur finca est superbe. Face à nous, une campagne luxuriante et paisible. Dans le fond de la vallée, un petit trésor caché, un gouffre aux eaux cristallines dans lequel nous passerons une après midi vivifiante et apaisante.

C’est un dur labeur que celui des agriculteurs ici où tout se fait à la main. Levés aux aurores à partir de 4h30, ils prennent un premier repas vers 8 ou 9h et un bon déjeuner à midi. Ils dînent léger et se couchent très tôt. Nous essayons de vivre au rythme de la finca (on fait quand même la grasse matinée jusqu’à 6h00), travaillons le matin, déjeunons avec Andres, discutons longuement et profitons des après midis pour découvrir les alentours, notamment Les Gachas, une rivière dont le lit, une grande dalle rocheuse, est sculpté de marmites naturelles. Peut être la trace de bulles d’air au moment du refroidissement des roches en fusion. Nous rentrons de nuit (pas d’inquiétude, on est sur une piste où il n’y a aucune circulation!). On adore rouler le soir… bon, nous sommes éclairés par d’impressionnants éclairs alors on met le turbo pour rentrer avant la pluie! Ce soir, nous sommes seuls avec Don Pacifico, qui s’inquiétait de nous savoir dehors par ce temps et à cette heure. Nous partageons notre soupe avec lui et il nous montre comment moudre le café de la finca qu’il vient juste de torréfier, sur un moulin certainement aussi âgé que lui!

Andres souhaite développer sa finca pour produire un café de qualité et l’orienter vers le tourisme. Il regorge d’idées et nous l’encourageons à poursuivre dans cette direction. Quelle chance nous avons eu de découvrir son domaine « El Refugio de los Andes » à ses côtés ! Nous lui disons à bientôt sur les routes de la région qu’il sillonne dans le cadre de son travail.

On se remet en selle et c’est une matinée qui commence mal: une piqûre d’abeille pour Damien heureusement sans gravité, un tendeur de Manon mal attaché qui se détache avec les vibrations et s’enroule sans le dérailleur en le tordant méchamment !! C’est la crise, on s’énerve. Une pause s’impose !!! On trouve un mirador spectaculaire pour le déjeuner. Devant la vue des montagnes, en savourant un délicieux avocat, les esprits se calment. Damien parvient à détordre les pièces mais nous craignons une usure prématurée de la chaîne.

Et puis comme souvent, la journée se termine de façon géniale!! Nous avons contacté Maryse et Hernando pour une visite de leur usine de panela d’après les recommandations de deux personnes. Ils nous accueillent comme des amis avec une générosité spontanée dont nous les remercions. Leur finca datant de l’époque coloniale a été complètement restaurée et est un véritable musée vivant. Grâce à un travail colossal, Maryse a également rassemblé informations et outils anciens autour de la panela, dont elle nous raconte l’histoire passionnante. Nous découvrons que la canne à sucre est en fait originaire de Nouvelle Guinée et qu’elle a voyagé jusqu’en Amérique du Sud au gré des caravanes de chameaux, des missions des grands explorateurs, et surtout de l’addiction au sucre des Européens! Leurs terres froides étant globalement inappropriées à la culture de la canne, ils ont profité de la colonialisation et du commerce triangulaire pour la planter ailleurs et en récolter le suc « sacré ». Nous passons une agréable soirée à discuter avec ce couple franco-colombien amoureux de la Colombie.

Le lendemain, dans la lumière rosée de l’aube, Hernando nous fait visiter l’usine et le domaine. Nous retrouvons dans l’air l’odeur caractéristique de la panela, mélange de caramel chaud et d’épices. La canne à sucre, débarrassée de ses feuilles utilisées pour le fourrage des vaches, y parvient à dos de mules. Les troncs sont broyés pour extraire leur jus qui après filtration et décantation est chauffé dans plusieurs bassins. Le liquide se concentre en sucre, pour atteindre le degré Brix recherché. Nous goûtons à la mielcocha, cette pâte sucrée à peine refroidie qui va donner la panela, une fois mise en moule. Hernando, à plus de 80 ans, est aussi passionné qu’Andres par son métier et regorge d’idées. Pour lui, la panela fait partie du passé. Il se doit d’imaginer des produits plus exportables et à plus forte valeur ajoutée comme le miel de canne qu’il nous offre et qui améliorera grandement nos petits déjeuners. Nous sommes admiratifs du parcours d’Hernando et de Maryse. Ils gèrent tout un domaine agricole, une cantine d’une petite centaine d’ouvriers et du bétail aussi. Nous nous laissons attendrir par un petit veau, né dans la nuit et encore tout humide du liquide maternel.

Après un succulent déjeuner et des discussions toujours passionnantes, nous reprenons la route, reposés, pour seulement 8 km. Direction le canyon de Alferez. Un bras de rivière à franchir sans pont, des champs de papayes à traverser et nous trouvons la zone de camping indiquée sur la carte. Térésa et sa famille louent en fait leur beau terrain. Nous y sommes seuls et on adore le lieu calme et retiré. Nous pouvons utiliser leur cuisine au feu de bois et écoutons attentivement les conseils de Teresa sur la cuisson du riz et du yuka. Surtout nous découvrons seuls au monde, le canyon tout proche, une gorge très étroite aux eaux limpides et turquoises, que l’on remonte à pied et en nageant. Au dessus de nous, la roche sculptée par l’eau ruisselante forment un dôme de concrétions calcaires. Plus loin, les parois sont striées par la force du courant. Nous franchissons plusieurs cascades avant d’être arrêtés par une marche plus grande. Le paysage est grandiose. On grelotte mais on adore!!

Le temps très orageux nous réserve des éclairages magiques cédant la place à la pleine lune et aux insectes luisants comme des centaines d’étoiles.

Heureusement qu’on a repris des forces car la prochaine étape s’annonce rude. Nous demandons des informations à Teresa:

Damien: comment est la piste pour Aguada?

Teresa: elle est très pentue!!! Mais elle est bonne. Elle est pleine de pierres alors ça va…

Pour nous, ce sont deux informations contradictoires : l’adjectif « bonne » ne peut pas convenir à une piste caillouteuse. Et en effet, elle est plutôt terrible. 10km en 4heures… on a eu le temps d’admirer le paysage. D’ailleurs, sur ce pan de montagne la végétation est très sèche ! Nous poussons plus que nous ne roulons et arrivons en nage à Aguada pour la pause de midi. Nous y rejoignons Andres qui nous dégote un bon coin de bivouac à côté d’un mirador avec l’accord de la police locale. Nous passons une chouette après midi sur la place de ce petit village qui nous a tant charmés. Héloïse joue longuement avec une petite fille pendant que nous discutons avec 3 collégiennes dont l’une rêve de découvrir la France. Elles n’ont jamais vu d’étrangers dans le village. On se régale d’échanger et Manon continue à leur écrire grâce à WhatsApp.

La vue du mirador est encore une fois à couper le souffle. A la nuit tombée, nous nous rendons compte de la quantité de fincas, aux petites lumières qui éclairent la vallée. Nous nous endormons aux sons de la campagne, ici un chien, là un coq… remplacés au petit matin par les chants d’oiseaux que nous ne connaissons pas…. Nous sillonons un environnement moins sec que la veille. La végétation est luxuriante mais les pâturages et les espaces ouverts ne la rendent pas oppressante. A La paz, la police nous interpelle…  » vous êtes la famille française en vélo? » Prévenus par leur collègue d’Aguada, ils nous attendaient. Et c’est parti pour une séance photo. Ce soir, grâce à l’amitié précieuse d’Andres, nous sommes accueillis par Elsa et sa famille alors qu’il se met à pleuvoir, comme souvent depuis quelques jours. Et nous bénéficions encore une fois de la générosité sans limite des colombiens et de cette famille si attachante.

Des « envueltos », pâte de maïs sucrée cuite dans des feuilles de bijao, une agua panela qui réchauffe et la discussion bat son plein autour du voyage, de la France et de la Colombie… sans oublier le café et la famille. Dans cette maison familiale perchée sur une colline, vivent Elsa, son mari Rey et son frère Gerardo. Livardo, un autre frère et son épouse Nubia habitent un peu plus bas. La finca leur vient de leurs parents. Les vestiges d’une ancienne cheminée de briques témoignent de son passé liée a la canne à sucre, alors qu’Elsa y est revenue pour se lancer dans la production de café.

Nous nous sentons bien dans cette demeure ancienne qui a su garder son cachet. A 6h00, nous n’avons qu’à pousser la porte pour admirer le lever de soleil brumeux et mystérieux.

Dès 7h30, équipés de paniers, nous arpentons la plantation à la recherche de pépites de café rouges et mûres. Elsa qui débute dans le métier est heureuse à chaque nouvelle fleur qu’elle découvre et son enthousiasme est contagieux. Nous nous appliquons dans cette nouvelle tâche et les filles prennent leur rôle très à coeur. Nous moulons ensuite la cueillette pour en extraire le grain qui est lavé puis séché. Pendant ce temps, le reste de la famille prépare un bon déjeuner que nous partageons tous ensemble à l’ombre de la cuisine à bois.

Le lendemain, Elsa nous accompagne au Hoyo del aire, une particularité géologique. C’est une belle randonnée, propice aux discussions, aux confidences et à la contemplation. En rentrant, les filles s’essaient à l’équitation sur la jument de Livardo. Ici, le cheval est encore très utilisé dans les campagnes. Et nous croisons de nombreux cavaliers chapeaux sur la tête et lasso à la selle.

Pour le déjeuner, les hommes de la maison ont préparé un plat typique: des piquetes, mélange de viande, d’oeufs, de yuka, de pommes de terre et de bananes plantain, le tout enveloppé dans des feuilles de banane. Les discussions s’arrêtent… Nous dégustons… Nous leur faisons à notre tour goûter une spécialité francaise: des crêpes… tartinées d’arrequipe et arrosées d’agua panela bien sûr !!

Nous ne savons comment les remercier pour leur accueil si naturel. Nous avons partagé leur quotidien pendant trois jours tout simplement comme si nous faisions partie de leur famille. Et c’est le plus précieux des cadeaux pour nous. Quelle chance nous avons! C’est avec une vive émotion que nous les quittons…

La culture de la canne à sucre est encore très présente ici. Des mules chargées nous doublent et notre odorat est titillé par les effluves sucrées émanant de chaque moulin ou trapiche. Chaque exploitation semble avoir sa propre fabrique. Avec nos références européennes, nous nous demandons pourquoi ils ne créent pas des coopératives. Mais les routes sont tellement mauvaises que les mules ne peuvent pas faire des kilomètres pour atteindre le moulin… Après un bivouac sur le terrain de foot de Chipata viejo, nous atteignons Velez, capitale du bocadillo ou pâte de fruits de goyave, notre carburant. Nous roulons maintenant enveloppés de l’odeur de la goyave caramélisée s’échappant des fabriques locales. Nous ne pourrons pas les visiter pour des raisons d’hygiène mais le contremaître nous offre des blocs de pâte de fruits et nous envoie des vidéos de la chaîne de fabrication!!!

Une descente comme on les aime nous amène à Barbosa où nous avons rendez vous pour le déjeuner avec nos amis Andres et Dalila. Encore de supers moments partagés et on se dit à bientôt à Bogotá.

La pluie nous cueille avant la petite ville de Moniquira où nous sommes accueillis par la sœur et la fille d’Elsa, Elvira et Lina. Sans oublier Maria José sa petite fille, avec laquelle les filles se régalent de jouer à peine arrivées. Elvira et Lina font preuve de la même générosité qu’Elsa !!

Nous nous dirigeons doucement mais sûrement vers Villa de Leyva, célèbre ville coloniale de Colombie. En fin de matinée, une voiture nous encourage. C’est Carlos, qui nous attend quelques kilomètres plus loin pour discuter… puis nous inviter chez lui pour le déjeuner… nous y resterons jusquau lendemain. Carlos et Nancy se sont installés ici il y a deux ans. Leurs enfants habitent à Bogotá mais leur fille Laura est est vacances chez eux. Ancien policier, Carlos se reconvertit dans l’agriculture. Ils nous font découvrir leur petit gouffre de baignade, préservé et sauvage comme on les aime. Les discussions vont bon train sur tous les sujets notamment politiques et nous nous régalons d’échanger, de rire, de partager simplement et chaleureusement.

Ces quinze jours auront été pour nous une chance inouïe et une incroyable expérience de la générosité humaine. Merci les amis! Nous en sortons heureux, émus et grandis.

20 commentaires sur “De fincas en fincas

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  1. 15 jours , en effet inoubliables .
    Au delà des paysages toujours superbes, on retiendra l’humain , avec ces mains tendues , cette confiance mutuelle , cette générosité.
    Bravo pour ces rencontres qui vous offrent des moments uniques et des souvenirs précieux .

    1. Le Santander restera un coup de cœur à tous les niveaux et surtout pour la générosité des colombiens. A bientôt de Bogotá !! On vous embrasse fort.

  2. C’est un vrai régal de vous lire!
    Félicitations pour inculquer à vos filles le goût de l’effort et leur faire vivre tant d’expériences enrichissantes et inoubliables!
    Amicales pensées aux Lamas Futés, dans l’attente de la prochaine publication!

    1. Merci Maryse et Hernando. Nous gardons un excellent souvenir de notre passage chez vous et le miel de canne continue à nous régaler. Merci à vous surtout pour votre accueil généreux et spontané!! A très bientôt pour la suite.

  3. Quelles rencontres merveilleuses, quelles photos splendides, quels moments inoubliables (ces bassins d’eau!) et surtout quel plaisir à vous lire. On pourrait presque sentir l’odeur du café ou de la panela.. Merci!!!!

    1. Merci Elena!! On se régale de ces bains rafraichissants et sauvages!! On dirait pas non à un petit bain à Saint Thomas! Bises à tous les 3.

  4. Bonjour les Lamas… toujours fidèle à vos publications, vous nous faites rêver et c’est bien bon !!! Les filles ont drôlement grandi et sont magnifiques !!
    Bises à vous et continuez à nous donner des nouvelles, ça fait vraiment du bien !!

  5. Vous continuez à faire de belles rencontres.
    Toute cette générosité semble incroyable mais pour vos hôtes ce doit être une expérience inoubliable de rencontrer une telle famille française !
    Vous êtes nos meilleurs ambassadeurs.
    Merci…

    1. Rien de révolutionnaire en fait. Mais c’était une cuisson au feu de bois en jouant sur les disques de fermeture ou d’ouverture du foyer… et avec la quantité minimale d’eau ( et pas à grande eau comme j’ai l’habitude de le faire). Et une supervision de chaque instant de Térésa !! Bises

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par Anders Noren.

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