8 ans à 4000 mètres

Héloïse a soufflé ses 8 bougies à 4000m d’altitude. Mais avant cela, il a fallu descendre de Bogota et de la cordillère orientale vers la plaine du Magadalena, plus grand fleuve de Colombie et remonter pendant plus de 100km et 4000m de dénivelé sur la cordillère centrale. Et le chemin nous a réservé de multiples surprises.

Nous quittons Nemocon sous une météo incertaine pour les prochaines semaines. Pour contourner la plaine de Bogota, nous alternons petites routes bordées de falaises, pistes cyclables longeant de grands axes routiers et villes banlieues. Rien de très intéressant mais c’est plat et nous avançons un peu plus vite que la pluie. La route nous réserve quand même quelques scènes insolites comme cette maman et sa fille adolescente habillée en talon, mini jupe et crop top, menant leur 3 vaches sur la piste cyclable de l’autoroute de Bogotá!! Le petit village de Tabio, mignon et très bobo, et la salle polyvalente de son camping nous accueillent pour la nuit.

Grisaille, petit crachin et pistes boueuses sont au programme du jour quand un 4×4 s’arrête discuter avec Damien. Avant même que je ne les rejoigne, Fernando nous invite dans son Hacienda, el Imperio construite en 1863 par sa famille. C’est une merveille, un havre de paix aux murs blancs, aux toitures de tuiles, aux huisseries colorées et au jardin  fleuri. C’est un lieu chargé d’histoire, que nous visitons encore abasourdis par l’accueil que nous réserve cette famille sans nous connaître. Fernando, ses deux frères, Gonzalo et Santiago, et leur maman vivent sur ces terres avec leur famille chacun dans une maison. L’architecture de la plus ancienne est typiquement coloniale avec un enchaînement de pièces ouvertes sur un patio. Ils nous offrent deux chambres douillettes. Les salons regorgent d’antiquités et il se dégage de l’ensemble une ambiance rassurante et surannée. Les maisons des enfants, très modernes, ont été construites dans le plus strict respect des codes coloniaux. L’ensemble est superbe. Nous apprécions surtout l’ambiance et l’énergie positive qui se dégagent de ces 3 familles. Après une délicieuse agua panela, Pilar, Gonzalo et leurs enfants, Valentina, Julian et Juan Pablo nous invitent à déjeuner autour d’un vrai délice de la cuisine locale: arepas, poulet et bananes plantains rôties !! Nous discutons longuement avec eux au coin du feu pendant que les filles se sont déjà appropriées leur chambre et cette maison ancienne.


Ce soir, une grande fête est organisée pour les 20 ans de Maria Camila la fille de Fernando et nous y sommes conviés. Nous rencontrons famille et amis, goûtons l’Aguardiente, l’alcool colombien par excellence au léger goût anisé, et dansons au rythme du vallenato, musique gaie et entraînante provenant de la côte caraïbéenne.
Si on nous avait dit ce matin, alors que nous enfilions nos goretex, que nous partagerions ce soir un moment de vie si intense avec une famille colombienne, nous ne l’aurions pas cru! C’est la magie du voyage. Tout le monde est aux petits soins avec nous. Nous profitons pleinement de ces instants suspendus!!


Le lendemain, au petit déjeuner, nous retrouvons Fernando, puis Santiago autour d’un délicieux barbecue, la meilleure viande grillée depuis le début du voyage. Les filles s’en donnent à cœur joie dans les jeux de ses enfants devenus grands. Nous discutons longuement avec son  fils Alejandro qui étudie le français et le parle très bien!! 


C’est dur de repartir et de quitter cette grande famille, à l’énergie communicative, qui nous a tant apporté. Pilar nous offre un sac et un poncho typiques de Colombie des souvenirs précieux qui s’ajoutent à tous les moments de discussions et de rire partagés avec tous. Merci infiniment les amis!!
Un déluge s’abat sur nous une fois franchi le portail. Mais rien ne pourra entamer notre bonne humeur! Ni la circulation, ni la pluie!! Surtout que nous sommes attendus à 20 km d’ici à Facatativa. En effet, hier, avant notre rencontre avec Fernando, un couple en moto s’est arrêté discuter et nous a invités chez eux pour la nuit. Nous arrivons donc chez Manuela et Alejandro complètement trempés. Nous nous réchauffons vite et discutons voyage. Ils ont pour projet de traverser l’Amérique du Sud en moto, en travaillant à distance puisqu’ils ont une entreprise de sport en ligne. Leur énergie est encore une fois inspirante!! Ils sont jeunes, dynamiques et plein de projets. Ils nous interviewent même pour leur chaîne instagram. Nous nous régalons des saucisses artisanales de la maman de Manuela, connues dans toute la ville, car ils gèrent tout de l’élevage au produit fini . Nous adorons les rencontres pour cela aussi, la découverte d’une gastronomie locale hors des sentiers battus. Merci encore pour votre générosité spontanée !!

Le lendemain, la pluie nous suit toujours. Nous tentons d’éviter la grande route et nous engageons au travers de quartiers louches où des chiens agressifs nous terrorisent. Nous pataugeons dans la boue avant de revenir sur l’axe principal pour quelques kilomètres. Nous nous arrêtons à chaque camion qui passe pour éviter leur souffle dangereux. Nous flottons dans les gaz d’échappement. Mais quelques effluves agréables viennent chatouiller nos narines comme l’odeur des champs de coriandre exacerbée par l’humidité ambiante. Une éclaircie découvrant de beaux panoramas sur les montagnes et les vallées verdoyantes, une route secondaire très tranquille en descente et le plaisir de pédaler revient, tout comme les bambous et les bananiers. Nous avons renoncé à prendre une piste au vu des risques d’éboulements, préférant rester sur des axes empruntés et sécurisés. Et nous avons raison car les glissements de terrain traversés nous impressionnent. Bituima, sa place et ses enfants jouant au foot nous charment. Nous aimons l’atmosphère tranquille de ces petits villages reculés de montagne.

Et la descente goudronnée se poursuit, 60km sans un coup de pédales, un régal!! Quelques gouttes de pluie et l’on s’équipe à l’abri du préau d’une maison. – » Ici il fait froid!! En bas, la chaleur est insupportable! Fichu climat tropical », nous dira le maître des lieux. Et nous confirmons !! Au détour du virage, le fleuve Magdalena se dévoile, serpent lent et boueux s’écoulant vers le nord! Une autre courbe, et une chaleur étouffante nous saisit! 42 ° au compteur et il fait frais aujourd’hui, nous dit-on! La journée se termine par un volley dans la piscine de l’hôtel!!


Nous partons donc à la fraîche sous l’ombre salvatrice d’une arche végétale. Nous arrivons au pied du volcan Nevado Ruiz, dans les ruines du village d’Armero. 13 Novembre 1985, le volcan montre des signes d’activité depuis quelques temps. A 23h45 cette nuit là, les cendres mêlees à la fonte des neiges du glacier (10 % du glacier a disparu), provoquent un lahar, coulée de boue spectaculaire qui dévale en quelques minutes 5000 mètres de dénivelé. Sur son passage, une cicatrice de terre et un village anéanti. 22000 morts sur les 29000 que comptait la municipalité, la seule impactée et pourtant la plus éloignée. … nous déambulons dans les ruines recouvertes de végétation. Des messages d’amour et d’espérance sur les façades des maisons, des tombes, des fleurs. Un silence solennel… c’est poignant et nous prenons encore une fois la mesure du poids des catastrophes naturelles avec lesquelles les habitants d’ici doivent composer.


Après 4 km de montée, nous nous arrêtons déjeuner dans une petite gargotte. Je me fais alors piquer par une petite abeille à l’arcade sourcilière. Rien de grave… mais 10 minutes plus tard, je perds connaissance suffisamment longtemps pour effrayer Damien et les filles, suffisamment longtemps pour qu’une ambulance me prenne en charge. Je ne reprends mes esprits qu’à son arrivée. Perfusion et cortisone, le temps de rejoindre Lerida et son petit hôpital. Les douleurs musculaires s’estompent sous l’effet des calmants. La prise de sang est bonne et je suis autorisée à sortir en fin de journée. Damien et les filles m’ont rejoint en bus, laissant tout sous la bonne garde de Luz du petit restaurant. Nous sommes soulagés de nous retrouver, soulagés que tout se termine si bien. Un bon repas, une bonne nuit dans un hôtel que nous n’envahissons pas pour une fois avec tous nos bagages et c’est reparti.

Je me sens en forme prête à affronter la montée du volcan. Nous remercions Luz d’avoir gardé nos affaires et la rassurons sur mon état. Elle aussi a eu peur.

Et en selle pour 1600 mètres de montée sur 30 km. Qu’est-ce que c’est agréable du goudron !! Ça nous paraît même facile!! Avec l’altitude, nous retrouvons un peu de fraîcheur, des collines abruptes plantées de café, suivies d’une forêt tropicale et dense, enchevêtrement de lianes, de fougères arborescentes et d’eucalyptus. Nous ne camperons pas encore ce soir, pas facile de trouver un endroit plat!! Libano, grande ville animée construite sur un petit plateau, sera une étape reposante. Toute la famille est aux petits soins avec moi.

Nous continuons donc vers Murillo. La route est en travaux avec de nombreux arrêts, des « pare-siga » ici!!! Et quelques passages boueux qui nous scotchent littéralement au sol!! Le temps se gâte. La forêt laisse la place à des pâturages sculptés par le bétail. Un pique-nique rapide en bord de route et le brouillard nous enveloppe. Ambiance feutrée, bruits étouffés, vision fantasmagorique…. et la pluie qui finit par nous rattraper. Glaciale et lugubre. Les derniers kilomètres pour atteindre Murillo sont interminables. Et enfin les premières maisons… sombres et peu accueillantes, comme dans un village fantôme…Nous avons du mal à trouver une chambre. On nous dit que les hôtels sont pleins alors qu’ils nous paraissent vides…. enfin, nous trouvons chaussure à notre pied et apprenons qu’il y a une coupure d’électricité depuis 24h et une course cycliste dans les prochains jours. On comprend mieux l’ambiance de fin du monde!

Nous restons deux nuits à Murillo pour attendre une fenêtre météo plus propice à l’ascension du Nevado Ruiz. Et puis au moins les affaires auront le temps de sécher!!! Murillo s’anime sous le soleil avec ses façades colorées, ses hauts trottoirs et son église argentée.  Derrière une petite porte, nous distinguons un métier à tisser et des hommes qui choisissent leur ponchos de laine écrue appelé juanita. Nous y retrouvons les contrastes de la Colombie : habits modernes et techniques au côté de vêtements traditionnels, mules chargées de citernes de lait partageant les pavés avec des vélos dernier cri.  Une Colombie à la fois authentique et moderne, pleine de surprises et de couleurs!! Cest ça que nous adorons ici !!


Nous nous baladons jusqu’à une cascade et en fin de journée, le volcan fait son apparition, cône plat, fumant et enneigé. Les cieux s’illuminent de couleurs irréelles, les volutes des nuages s’éclairent de l’intérieur au dessus des toits de tôles et des cheminées fumantes. Spectaculaire !!

Au réveil, le Nevado coiffé d’une fumerolle se fait admirer sous la lumière du matin.
On se met en route… en compagnie de 2000 cyclistes. C’est le jour d’un défi sportif en vélo et les colombiens sont vraiment fan de ce sport. Nous nous faisons doubler, questionner, interviewer, encourager et applaudir dans une ambiance familiale et bon enfant. Aujourd’hui, nous avons échangé nos montures. Héloïse pédale sur le vélo de Lucie, qui est sur le tandem avec Manon, dont j’ai récupéré le vélo!! Nous sommes les mascottes de la course et on nous offre empanadas, agua panela, bocadillos pour le plus grand plaisir de Héloïse qui fête aujourd’hui ses 8 ans. Un paysage de montagnes accidentées et verdoyantes, de moraines, de cascades et de frailejones!! Une température glaciale mais un sourire radieux en soufflant ses bougies sur une mangue dans notre petit coin de bivouac en pleine nature. Les éclairs zébrent le ciel mais nous restons au sec!! Après une bonne soupe de légumes dégustée à 17h30, nous nous abritons dans la tente dès 19h00. Il fait déjà 0 degré dehors…

Surprise au moment du départ le lendemain matin, une énorme colonne de fumée s’élève au dessus du cratère…. on rassure les filles mais on ne fait pas les malins. Les voitures circulent, et le volcan était encore en vigilance jaune au moment du départ… nous continuons donc notre montée sur une route spectaculaire et vertigineuse au milieu des frailejones, des falaises et des mini plateaux anciennement occupés par le glacier. Cest au niveau du Rio azufrado, qu’une partie de la montagne s’est effondrée en 1985 ensevelissant Armero. Au vu de la cascade et du canyon laissé, on comprend l’étendue de la catastrophe.


4126 mètres d’altitude… Le souffle se raccourcit… mais grâce à la motivation de tous, notre objectif est vite atteint: les sources thermales del Sifon. Un endroit magique complètement sauvage aux eaux cristallines, turquoises et brûlantes. Après 40 minutes de marche, quel délice de s’y plonger!! Nous mijotons doucement avant de nous attaquer à la remontée. Nous bivouaquons dans les alentours toujours à plus de 4000 mètres, avec vue sur le cratère. Tout est gelé au réveil mais la nuit a été bonne. Les filles ont quand même dormi en doudoune au cas où….


La route en balcon se poursuit à travers les touffes d’herbes jaunies et les frailejones. On dirait qu’une foule nous entoure alors qu’on est seuls, dira Lucie!! C’est vrai qu’ils ressemblent vraiment à des petits bonhommes.
Une coulée de lave que recouvre peu à peu la végétation est l’occasion d’un cours pratique de géologie. Les roches volcaniques ne ressemblent pas à celles du Chili, plus sableuses.

La route s’éloigne du Nevado et la descente débute d’abord goudronnée puis « destapada » comme on dit ici. C’est la vieille route des thermes, très touchée par des glissements de terrain, mais néanmoins ouverte. Après un déjeuner gastronomique pour l’anniversaire d’Héloïse dans le seul restaurant du coin, nous parvenons aux thermes de la Gruta.


Nous campons sous un petit toit à côté de trois piscines chaudes et en compagnie de Toby, cyclovoyageur anglais!
Quel plaisir encore une fois de se plonger dans les eaux chaudes même sous la pluie! Et on ne résiste pas au bain nocturne !!
Nous y passons la matinée avant d’entamer la descente vers Manizales. Nous pénétrons dans une jungle inextricable par un chemin, ou plutôt un torrent de boue, effondré ou enseveli par endroit. Nous sommes en apnée pour traverser les obstacles tant on a peur qu’une vibration provoque un nouveau glissement de terrain. Car c’est de cela qu’il s’agit… des pans entiers de jungle qui dévalent les pentes saturées en eau. On a l’impression qu’un cataclysme a eu lieu ici…. quel soulagement de sortir de la zone et de retrouver des pâturages plus stables. Sur le chemin, Héloïse me fera remarquer qu’elle ne sait pas ce qu’elle préfère finalement, dormir sous un volcan en activité, sous un orage ou proche de glissements de terrain. C’est ce qui s’appelle dompter ses peurs!!

23 commentaires sur “8 ans à 4000 mètres

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  1. Fanny!! Tu Familia es la más hermosa familia jamás conocida! Ustedes son lo mejor que me encontrado en mi vida ! Que ejemplo de vida y que hermoso saber de ustedes, gracias por inspirar el mundo con ejemplo amor coraje y lo que es familia, tienes todo mi amor mi apoyo mi admiración para tu familia un abrazo y soy para
    Toda tu familia tu mejor amigo y admirador!!!

  2. 8 ans à 4000, Héloïse s’en souviendra, pimentés de feux de joie du cratère du Nevado Ruiz, du choc anaphylactique de Fanny, de bains dans des bassines à 40°, des 2000 cyclistes à vos côtés !!!! Ca nous bouge à nous aussi !!! Bravo et encore merci de vos belles narrations…

  3. Merci, merci pour me faire partager vos aventures. Bonne anniversaire à Éloïse, quels beaux souvenirs pour ses 8 ans.
    A très bientôt pour découvrir vos prochaines aventures. Bises
    Emmanuelle

  4. C’est une de tes photos le colibri Damien ??? Si oui, incroyable et magnifique ! car distinguer leurs yeux avec la vitesse des battements d’ailes, c’est mission impossible, et pourtant il y en a beaucoup aussi à Los Angeles ! Bravo pour ces très beaux récits et ces photos amusantes, vous nous offrez de magnifiques témoignages de votre expérience de la Colombie en 2023. Gros bisous à tous.

  5. Epoustouflant récit, qui nous laisse des sentiments variés, admiration, jalousie, émerveillement…Tellement loin de notre quotidien!

  6. Bonjour à Vous 5 !
    Je rentre de 4 h de temps d’aumônerie, à Lunel, avec nos jeunes de 6ième à la terminale, rempli de force, d’espérance, de Foi et je découvre vos dernières nouvelles, rencontres, vos aléas de la vie,… et merci de vos temps partagé. Bonne continuation. A + . Patrick

  7. Bon anniversaire héloise ! quelle chance de les feter à cette altitude, et dans ce décor. Je me repete mais quelles photos incroyables, bravo damien. Bises depuis Assas. Damien.

  8. Pour ses 8 ans, Héloïse aura apprivoisé bien des angoisses.
    Quelle aventure… avec du bon et du moins bon… mais vous sortez victorieux de ce périple qui m’a donné parfois « la chair de poule » et l’envie de continuer à vous suivre.
    Heureusement, solidarité, pugnacité et vigilance marquent ce voyage.

  9. bravo Héloïse pour tes 8 ans, volcan, orage, glissement de terrain, j’en suis effrayée, et admirative .
    A cette allure où fêteras-tu 9 ans? allez bon vent ! Roselyne Epailly

Répondre à Marc et Christine ChandesrisAnnuler la réponse.

par Anders Noren.

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