5 ans à 4000 mètres d’altitude

Nous arpentons une dernière fois les rues désertes de San Antonio de Los Cobres avec nos vélos chargés.

Direction la gendarmerie: nous les informons de notre projet de rejoindre la petite ville de Susques en 5 jours. Ils nous donnent leur feu vert, nous indiquent quelques difficultés à éviter liées aux dernières pluies. Et nous voilà en selle…. On est heureux sur les vélos et on respire déjà mieux après ces quelques jours bizarres….

Nous sommes très chargés, avec 5 jours de nourriture et plus de 20 litres d’eau car nous ne savons pas ce que nous trouverons… Bien vite, l’asphalte disparaît et nous retrouvons ce cher ripio d’Amérique du Sud, mais il est encore en très bon état. Nous montons doucement sous le soleil, mais le ciel est encore très chargé de gros nuages orageux. Quelques voitures minières nous dépassent.

Nous prenons notre temps. Une petite église blanche apparaît devant nous. Endroit idéal pour faire une pause. En plus il y a des lamas. C’est chouette…. Un très grand lama blanc nous observe en bord de route et soudain … nous charge, sans prévenir!!!! Eh bien, un lama en colère, c’est très impressionnant: il est plus grand que Damien et nous poursuit à vive allure, donnant des coups de têtes, et des coups de pattes. Vite, vite nous fuyons comme nous pouvons… Imaginez les cris de nos trois têtes blondes, déjà pas très à l’aise avec les animaux! Nous traversons sans réfléchir une rivière. Et notre « lama pas très futé » arrête sa poursuite…. normal, une meute de chiens noirs a pris le relais. Rebelote, on appuie à fond sur les pédales pour échapper à leurs crocs! On s’arrête à bout de souffle quelques centaines de mètres plus loin! De tels efforts à 3900 mètres, ça ne pardonne pas!! Evidemment, nous n’avons pas pris de photos de la charmante petite église….

Pour déjeuner, nous nous abritons du soleil dans un canyon creusé par l’eau. .. et reprenons notre montée dans ces paysages de puna où seul le « ichu », sorte de buissons aux herbes piquantes, parvient à pousser.

On cherche l’ombre

Nous croisons quelques bergers arpentant ces pentes désolées. Bientôt, le viaduc de la Polvorilla apparaît, suspendu au dessus du canyon. Il a été construit entre 1929 et 1932, avec des matériaux exclusivement importés d’Europe. Une prouesse architecturale et technique à cette époque: 224 mètres de long et 64 de haut! Quand les locomotives à vapeur parvenaient à ce pont, les fumées restaient emprisonnées dans le canyon, ce qui a valu au train le surnom de « Tren de las Nubes  » (train des Nuages). Il est longtemps resté le plus haut train du monde à 4220 mètres d’altitude.

Nous installons le bivouac aux pieds de ce géant d’acier. Fanny a quelques maux de tête mais dans l’ensemble, tout le monde va bien.

Les Viscachas s’en donnent à cœur joie dans les éboulis voisins…. Nous les scrutons un bon moment. Une famille de chiens de prairie traversent la route aux pas de course pour éviter les éventuels prédateurs. D’ailleurs, le sous-sol est un vrai gruyère….Les chèvres rentrent au bercail dans un enclos proche de notre campement. Nous savourons cette tranquille fin d’après midi.

Il ne fait pas encore trop froid sur l’altiplano, mais au petit matin, le thermomètre n’indique tout de même qu’1 petit degré. La nuit a été calme à 4100 mètres, maux de têtes persistants pour les adultes mais les enfants sont en pleine forme. La journée va être dure, on le sait et on est prêt! La piste passe sous le viaduc…. Mais, « au milieu, coule une rivière!! » Nous devons la traverser de nombreuses fois, le sable est mou, la boue collante, les gros galets sont autant d’obstacles aux roues de vélos. Héloïse et Lucie descendent du vélo, nous poussons, tirons nos montures comme nous le pouvons. Et Héloïse qui ne cesse de répéter: « Oh, on voit encore le viaduc!!!! » Nous le verrons longtemps ce viaduc dans notre dos, n’avançant que de 3 km en presque 2 heures….

Heureusement, les paysages nous subjuguent: toujours ces couleurs éclatantes et contrastées, ces roches magnifiques une fois orangées et friables, et soudain rouge brique et compactes! Enfin, la piste s’élève pour s’éloigner du lit de la rivière. Nous pouvons reprendre un rythme de croisière. Les collines semblent sortir d’une oeuvre de pointillisme, avec ces touffes d’herbes isolées! Quelques murs montrent que l’homme peuple ces contrées, mais aujourd’hui, nous sommes seuls dans ces paysages.

Nous nous essoufflons très vite dans la montée. Nous poussons les vélos parfois quand la pente devient trop raide. La vallée s’est élargie, une mousse très rase et d’un vert éclatant , la Llareta, recouvre le sol. Étonnés, nous suivons toujours un cours d’eau, de plus en plus clair. La région n’est pas si sèche en fait.

Après ce premier raidillon, en changeant de vallée, nous nous retrouvons face aux majestueux volcan Tuzgle (5490m): un cône de pierres brunes, d’où s’écoulent des langues de laves noires. Le tout saupoudré de neige fraîche! « Un fondant au chocolat avec du sucre glace », s’écrient les filles…. Seraient-elles en manque de bons repas?

« Oh un fondant au chocolat avec du sucre glace ! »

Nous restons sans voix, nous pédalons en admirant ce géant. Nous nous enlisons souvent dans la passages sableux, mais quel spectacle de la nature! Un cours d’eau nous offrira un magnifique reflet du volcan. Euphoriques, nous voyons tout en double!

Et c’est alors que surgissent un troupeau de vigognes et quelques nandus! Nous les sentons d’ailleurs de très loin. L’excitation est à son comble quand nous les admirons galoper devant le volcan!

Il est temps de s’arrêter déjeuner. Nous profitons de l’ombre de la bâche. Quand Manon, tout en grignotant sa carotte trempée dans le ketchup, nous dit, « J’adore cette journée!! », et que ses sœurs acquiescent, nous savons que cette route est le bon choix, quoi qu’il arrive après. Les parents sont très émus. Et c’est un bel instant de bonheur que nous vivons à 5!

Il faut se remettre en route après cette pause frugale. Le col nous attend, mais nous nous sentons pousser des ailes. Heureux, nous franchissons le point le plus haut du parcours: 4450 mètres. Élégantes et agiles, les vigognes nous accompagnent avec en fond notre cher volcan…. Nous vivons un rêve éveillés!

Les vigognes se fondent littéralement dans le paysage

Et c’est la descente tant attendue! Il faut faire attention aux passages sableux très traîtres…. mais nous respirons un peu mieux.

A l’approche d’une maison de bergers, nous traversons un troupeau de lamas et là, rebelote!!! Un lama nous charge à nouveau! Mais qu’ont-ils donc? Refroidies par l’expérience d’hier, les filles se mettent immédiatement à hurler. Cette fois, c’est à l’équipage de Fanny et Lucie qu’il s’en prend: il nous course, nous pousse dans le fossé, semble vouloir manger (ou se regarder, on est peut être tombé sur un lama narcissique!!) notre rétroviseur! Va-t-il nous cracher dessus? Vite vite, nous fuyons. Heureusement, c’est de la descente et il nous laisse tranquilles au bout de quelques mètres.

Le paysage a changé, nous entrons dans un canyon, aux falaises disloquées sous l’action de l’érosion. Les pentes sont couvertes de blocs impressionnants.

Nous plantons la tente dans la courbe du ruisseau. Située dans une zone thermale, l’eau est tiède, pratique pour faire un brin de toilette! Nous essayons la polenta qui ne nécessite ni trop d’eau ni trop de temps de cuisson. Affamés, nous trouvons tout délicieux. Et nous nous endormons comme des bébés après cette belle journée…. enfin, c’est sans compter les éclairs au loin, toujours impressionnants à travers la toile de tente.

Nous sortons avec les doudounes au petit matin et avons hâte que le soleil nous réchauffe, mais son ombre avance bien doucement à notre goût. Il nous faut toujours 2h au moins pour lever le camp entre petit déjeuner et rangement des affaires.

Même pas froid

Nous continuons notre agréable descente au milieu des blocs échoués. Le volcan ce matin nous offre sa face nord plus orangée et dépourvue de neige. Il nous domine et surveille notre avancée dans la plaine. Des falaises vertigineuses décorent ses flancs alors que nous débouchons sur une immense plaine. Le ruban de la piste se déroule à l’infini devant nous. Ça et là s’élèvent des mini tornades de poussières!

Plus c’est vide, plus on vit pleinement l’instant !

Nous entrons dans le petit hameau de Puesto Sey, un ensemble de maisons en pisé, une rue principale déserte. Nous sommes sur l’altiplano argentin, la population locale vit dans des conditions très pauvres et très dures… Tout de suite, la tension est palpable. Nous nous reconnectons au monde grâce au wi-fi local. Après avoir pris notre identité, la police nous demande de continuer, en faisant bien attention au virus.

Nous roulons donc vers Pastos Chicos le prochain village, que nous atteignons après une longue pause à l’ombre à l’abri d’une montagne.

Petite victoire pour nous: nous arrivons à traverser quelques troupeaux de lamas sans nous faire courser… Quand notre convoi arrive dans ce nouveau hameau, même ambiance. Poussée par la curiosité, une vieille dame vient nous questionner sur le voyage. Elle porte la tenue typique des hauts plateaux: un chapeau à larges bords, un gilet coloré, une jupe et des chaussures de pneus…. Ces longs cheveux gris-noirs sont tressés en deux longues nattes dans le dos. Dans les conditions actuelles, nous ne prenons pas de photos évidemment. Elle est rassurée de nous savoir en Amérique du Sud depuis longtemps. Et nous discutons un moment avec elle. Nous tentons aussi de joindre l’ambassade.

Nous poursuivons dans la pampa pour établir notre campement au calme et loin de tout village. Nous sommes en plein désert…. Le ciel étoilé est majestueux au dessus de nous, indifférent à la tempête qui se déroule actuellement sur notre Terre.

Moins confortable qu’un Palace, mais une infinité d’étoiles rien que pour nous

Ce matin, nous sommes le 19 Mars. Notre petite dernière a 5 ans. On commence la journée par de belles embrassades et de gros câlins en ce jour particulier.

Bon anniversaire Héloïse !

Nous atteindrons Huancar en fin de matinée. Même ambiance que la veille. Alors que jusque là, nous étions accueillis avec de grands sourires, maintenant, les portes se ferment sur notre passage. Nous sommes étrangers donc synonymes de danger potentiel au vu de l’actualité européenne qui passe en boucle sur les télés. Nous demandons à la police la possibilité de déjeuner à l’ombre de l’église et de profiter du Wi-fi du village pour obtenir les dernières informations essentielles pour nous. Pendant ce temps, Héloïse et Lucie enchaînent les jeux. Manon reste davantage à l’écoute de nos différents échanges.

La police nous demande ne pas bouger et appelle en renfort la police de Susques, la « grande » ville située 20 km plus loin. Après une énième vérification de nos passeports, de nos dates d’entrée, de notre état de santé, le policier qui semble être le chef, nous indique que la présidente de la communauté, Estella, va nous fournir un logement pour la nuit. Estella est charmante, elle nous aide et nous rassure.

Nous avions promis à Héloïse une nouvelle observation des étoiles. C’est compromis. Qu’à cela ne tienne, nous ne voulons pas gâcher sa fête. Nous nous installons dans nos nouveaux quartiers et quitte à être dans un village, en profitons pour améliorer notre repas du soir avec quelques produits frais. Au menu, pâtes (toujours pas cuites à cette altitude) aux oignons et aux olives. Crème au chocolat et beignets, tout fait maison.

On passe un bon moment tous ensemble, même si un nuage d’inquiétude commence à flotter dans les têtes des adultes. Héloïse recevra de beaux poèmes et dessins, un bandeau généreusement donné par Lucie, un béret en laine d’alpagas et un petit porte-clé lama! Dans la cour, nous regardons les étoiles et elle s’endort comblée! A minuit, sans qu’elle s’en doute, l’Argentine rentre en confinement total. Mais ça c’est une autre histoire…

32 commentaires sur “5 ans à 4000 mètres d’altitude

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  1. Coucou ,
    Comme toujours des splendides paysages, des récits magnifique, vous êtes au top .
    De gros bisous a tous et particulièrement a Héloïse pour ses cinq ans avec un petit peut de retard …

    A très bientôt quelque part dans le sud de la France …

    Bisous a tous .

    Mathieu , Flo , Gauthier , Anaïs
    Pierre et Monique

  2. Après les Daltons, on se voit dans un album de Tintin, entre les paysages, les tenues locales, les policiers et les lamas !!
    Bises

  3. Bravo pour cette montée sur l’Alti Plano, grand merci pour ce récit ouvert et si agréable à partager.
    J’espère que vous n’allez pas faire du surplace trop longtemps et pouvoir poursuivre v otre déplacement sans trop d’inquiétude.
    ON pense très fort à vous 5!
    Bises,
    Denise et Jean

    1. Merci encore à tous les deux…. Tout est compromis mais nous avons des étoiles plein les yeux et les coeurs!
      Bises
      Fanny

  4. Grandiose et magnifique!
    Quel unique cadeau pour Héloïse et heureux anniversaire!
    Nous espérons que vos pérégrinations ne seront pas trop perturbées.
    Prenez bien soin de vous tous.
    Amicalement,

  5. Etre poursuivis par les lamas alors que vous les avez choisis comme emblêmes … 🙂
    Que de souvenirs, j’aimerai avoir des journées d’anniversaires comme héloïse !! Grosses bises à elle, à vous, et bon courage pour le confinement

  6. Bonjour à vous. Bon anniversaire à Heloïse.
    Damien, ça me rappelle les 6 ans de mon fils Lilian au pieds de l’ACONCAGUA. j’espère que vous allez tous bien et que le confinement ne vous gêne pas trop dans votre aventure.

  7. Bonjour à tous !
    Toujours un régal de vous lire et d’admirer les très jolies photos.
    Fin prêt à recevoir vos éléments pour le ML.
    Belle suite de parcours !
    Eric

  8. Caramba !!! Merci pour ce voyage virtuel… compte tenu de l’actualité ça fait un bien fou !

    Quand j’admire vos photos si joliment commentées, je me dis que mon heure de vélo tout les 2 jours (merci le home trainer), ce doit être un crachouilli de lama comparé à vos efforts tout là haut^^

    Je vous souhaite plein de courage pour la suite et si besoin Damien, la Team TSR est toujours là.

    Take Care les Lamas Futés !

  9. Tout d’abord avec du retard ! 1 bon anniv à Héloïse. Les filles aimeraient trop manger le sucre glace du volcan ! Elles en ont l’eau à la bouche alors que nous en sommes au dessert 😀
    Courage pour la suite du voyage. J’espère que vous trouverez de quoi vous occuper. Plein de bisous Hanae, Méloé, Ju et Amélie

  10. Coursés par un lama à 4000m d’altitude! en vous lisant je reviens 40 ans en arrière avec la lecture de Tintin, merci de me faire rêver! Toutes mes pensées vous accompagnent!

    1. Merci Jean-Luc. On ne faisait pas trop les malins comme le célèbre Capitaine. On est resté à peine un peu plus polis!!! Nous venons de faire un trajet en bus à travers l’Argentine qui m’a rappelé un certain Valence-Montpellier! A très bientôt!! Fanny

  11. Oui, vraiment, fabuleux épisode aujourd’hui à plus de 4000 mètres d’altitude, alors que partout – même en Amérique du Sud – chacun est forcé au confinement. Quelle évasion salutaire !
    L’Altiplano, j’en rêve et j’ai en projet une traversée de l’Amérique du Sud pour 2022, mais qu’en sera-t-il d’ici deux ans ?
    En tout cas, je goûte avec beaucoup d’intérêt toutes vos péripéties, qui ne font que renforcer ma propre envie.
    De tout coeur avec vous 5.

    1. Merci beaucoup. L’Amérique du Sud est magique. J’espère que votre projet pourra se réaliser!
      Fanny

  12. Bravo ! et grand merci pour ce partage revigorant ! Les lamas, les chiens, l’altitude… mais heureusement tant de beaux paysages et vastes étendues plus impressionnants les uns que les autres ! L’anxiété des populations rencontrées est palpable entre vos lignes. Profitez, profitez, et prenez toujours bien soin de vous. Buen viaje !!!!

  13. Beaucoup d’émotion ce matin en vous lisant. Récit encore plus captivant et photos toujours aussi fabuleuses.
    Nous nous sommes autorisés un petit sourire sur l’épisode des lamas. Assez facile d’imaginer les cris des filles !!!
    On vous embrasse très fort.

  14. ces temps ci ma premiere des activités du matin c’est la prière, avec la liturgie des heures, dès que j’ai aperçu vos nouvelles dans ma boîte, mon choix a été de vous lire, pour moi c’est identique, j’étais je suis et je serai en communion avec vous c’est normal à travers Fanny je vous aime .

    1. Ton message m’a tellement touchée et émue. Nous étions en communion même à des milliers de kilomètres. Merci infiniment Rosy… pour tout.

  15. Magnifique récit plein d amour et d’ émotion et toujours de belles photos .
    De tout coeur avec vous
    On vous embrasse trés fort

  16. Merciiii pour ces magnifiques photos et ce périple magnifiquement contée !
    Je revois des paysages observés et admiré quelques il y a quelques mois et cela donne plus que jamais envie de repartir !
    Pédaler à vive allure pour échapper aux lamas à plus de 4000 mètres d’altitude est un exploit ! Bravo les Lamas futés !! Vous êtes trop forts !
    Et un joyeux anniversaire à Héloïse avec quelques jours de retard 😃
    Prenez soin de vous !

    1. Hello Aymeric,
      Merci pour Héloïse 😉. On s’est régalés sur l’altplano, dommage qu’on ait dû ecourter.
      Bises à vous 2.

Répondre à FannyAnnuler la réponse.

par Anders Noren.

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