Un été en Irlande

Après avoir parcouru l’Irlande en camping-car pendant un peu plus d’une semaine, c’est parti pour une dizaine de jours de vélo en itinérance.

Première mission : trouver un endroit sûr où garer notre véhicule pendant 10 jours. Pas si facile, mais après quelques aller-retours, nous quittons notre cocon douillet pour enfourcher nos vélos. La personne chez qui nous nous garons nous met toutefois en garde contre la pluie des prochains jours, avec de jeunes enfants. On est conscient qu’en Irlande, le soleil ne nous accompagnera pas en continu !

Et pourtant, c’est sous un soleil éclatant et un ciel uniformément bleu que nous démarrons notre journée de vélo… En termes de timing, nous n’avons guère progressé depuis 1 an….Nous quittons donc la péninsule au nord de Kinvarra pour rentrer dans les terres du Burren… à 16h30 !  Les collines qui se dressent devant nous ressemblent à un empilement de « crêpes » blanches. L’heure du goûter est sûrement à l’origine de cette métaphore gastronomique !  Les pâturages que nous longeons se transforment peu à peu en champ de cailloux. Des arbustes dopés au crachin irlandais prennent racines dans les failles rocheuses et se dressent contre vents et marées dans cette mer de rochers. Nous circulons sur des routes étroites et très peu passantes, ce qui nous permet de papoter et de profiter de ce retour sur les roues. Et il y en a 10 cette fois-ci de roues, chacun d’entre nous menant sa propre monture. Les tandems nous manquent un peu soit pour le confort, soit pour la complicité mais cette configuration laisse une liberté toute nouvelle aux filles ! Nous nous élevons doucement sous une arche de verdure… Les murs de pierre de plusieurs siècles ont cédé la place à de hautes haies qui nous enveloppent littéralement. Au détour d’un virage, apparaît la seule prairie des alentours, où paissent tranquillement deux poneys noirs, les herbes scintillantes dans la lumière du soir dansant entre leurs pattes. C’est l’endroit idéal que nous attendions ! Nous faisons le plein d’eau à une source pour le dîner et la toilette du soir. Les couches karstiques de la montagne d’en face s’illuminent au soleil couchant. L’endroit est paisible. Des bivouacs comme on les aime ! Les habitudes reviennent vite, chacun à son poste, entre cuisine, jeux et préparation des couchages. Les chevaux prennent leur quartier de nuit autour de la tente. Bien au chaud dans nos duvets, nous les entendons brouter bruyamment dans le silence de la nuit. Les bruits sont amplifiés et cette proximité n’est finalement pas très rassurante, surtout qu’ils se prendront les sabots plusieurs fois dans les cordages de la tente. Ils ne nous ont pas écrasés, c’est l’essentiel !

Le ciel est redevenu bien irlandais au petit matin… enfin vers 9h00 ! Après un petit déjeuner en extérieur, nous nous abritons et enchaînons les parties de cartes en attendant l’accalmie. Il faut dire que tout au long de la journée, nous allons expérimenter le temps local. Le vent s’est levé et nous l’affrontons de face lors de l’ascension du petit col du jour. Le point culminant nous offre une belle vue sur ces montagnes blanches qui semblent s’enrouler sur elles-mêmes. Impossible de pique-niquer dans ces conditions, surtout qu’il n’est pas très chaud, ce petit vent, et nous cherchons rapidement un coin à l’abri de la « brise ». C’est sans compter sur les douches irlandaises : le temps de sortir nos vestes, tout est trempé et la pluie a déjà cessé, laissant une mare à nos pieds et un arc en ciel sur nos têtes. Nous passerons donc la journée à nous mouiller pour sécher quelques minutes plus tard sous le soleil et dans le vent ! C’est déroutant, mais nous nous habituons à cet inconfort passager. Dans cette ambiance toute irlandaise, nous profitons des vestiges du temps. En bord de route un dolmen nous plonge quelques milliers d’année en arrière. Nous visitons également le fort circulaire de Cahercommaun (Cathair Chomain). Les « Ringforts » sont des colonies fortifiées circulaires qui ont été principalement construites pendant l’ âge du bronze jusqu’à environ l’an 1000. Celui que nous visitons possède trois enceintes et est bâti en bordure d’une petite falaise, sur un plateau karstique. Sa position stratégique lui confère le titre de place forte mais c’était aussi le lieu d’habitation d’un petit nombre de familles celtes vivant d’agriculture et d’élevage. Nous accédons aux vestiges en longeant de magnifiques murs de pierres sèches et des forêts de buis. La végétation a repris ses droits sur les constructions humaines mais nous embrassons la vue à 360 degrés et tentons d’imaginer la vie des ancêtres irlandais. Nous adorons ces petites haltes historiques improvisées. Elles pimentent le trajet à vélo d’un côté culturel, nous permettent de fixer des petits objectifs géographiques et offre une alternative à l’effort de pédalage. Le vélo, au service du voyage et de la découverte, prend tout son sens pour nous. Dans ces contrées reculées et peu connues, nous sommes seuls sur le site loin des foules et ça nous va très bien !

Après cet entracte culturel, nous trouvons notre bivouac, au cœur d’un grand espace sans clôture derrière quelques maisons…. Un mur comme paravent, des dalles de pierre comme terrain de jeu, un peu d’herbe comme matelas et un rayon de soleil pour l’apéro…. Notre « chez nous » pour ce soir ! Une jeune fille nous salue et nous propose des couvertures pour la nuit. Nous assurons que tout va bien mais que nous passerons demain matin pour faire le plein d’eau. En attendant, nous nous rendons compte que nous avons élu domicile sur un nid de tiques ! On s’en serait bien passé ! Il y en a partout dans la tente, sur les matelas, sur nos jambes… Il nous faudra une heure pour nous scruter les uns les autres et nous endormir en même temps que le vent.

Le matin, la rencontre amicale avec Margaret nous réchauffera les cœurs et les corps. C’est sa fille que nous avons croisée hier soir. Un café bien chaud, une maison conviviale et une discussion à bâton rompu autour de la jeunesse, du covid bien sûr et des voyages ! Nous tentons de la suivre malgré son très fort accent irlandais. On se régale et s’enrichit de cette rencontre impromptue. Nous faisons le plein d’eau, de gourmandises avant de se remettre en selle…. au moment où l’averse tombe évidemment, sinon ce ne serait pas l’Irlande. Nous apprécions la descente, le détour boisé en surplomb d’un petit lac au-dessus de Killinaboy et le pub « Yellow Submarine » pour le déjeuner !  Au menu, agneau du Connemara pour les uns et Fish and Chip pour les autres. Nous traînons un moment entre ses murs chaleureux, alors que la grisaille s’intensifie dehors. Nous empruntons souvent la Burren walkway. Parfois c’est une route comme on les aime, goudronnée avec de l’herbe au centre. La Rolls Royce du chemin pour nous en Irlande car sans trafic, il est facile d’y pédaler côte à côte. Parfois, elle devient un sentier impraticable en vélo ou bien se termine soudainement par un enclos électrifié ! Nous avançons paisiblement entre les pâturages, dans l’Irlande agricole. Derrière nous, les Burren s’éloignent…  

Samedi 14 Août, la pluie annoncée est bien là et le plafond bas ne nous laisse pas espérer la moindre éclaircie. Heureusement, ce soir, nous logerons au sec chez Heinrich, un hollandais qui a choisi de s’installer dans la région de Crusheen voilà 25 ans. Contrairement aux classiques jardins irlandais sans arbre et partagé entre bitume et gazons, nous découvrons un petit bois où s’entremêlent toutes sortes d’essences végétales. Le jardin est organisé en plusieurs niveaux et tout au fond, nous attend notre chez nous, une petite cabane en bois avec un poêle bienvenu ! Nous l’allumons avec des briques de tourbe, les mêmes dont nous avons découvert l’exploitation dans le nord de l’île. Il n’y a pas d’électricité ici, et nous dînons aux chandelles. Une fois les filles couchées, nous rejoignons Heinrich dans sa maison pour une belle soirée d’échange autour d’un vin chilien. Il fait lui-même beaucoup de vélo, notamment la course Paris-Brest-Paris, dont il nous raconte de belles anecdotes vécues sur notre sol français.

Le matin, le soleil tente de percer ! Ça fait du bien ! Les habits et les chaussures ont séché au coin du feu. Nous disons au revoir à notre hôte et partons vers le Lough Cutra, un beau lac un peu plus au nord. Nous traversons des réserves protégées, rosies par les fleurs de bruyère qui s’épanouissent sur le sol encore bien karstique. Le relief est juste vallonné comme il faut, pour n’être ni monotone ni infranchissable pour les jambes d’Héloïse. Nous plongeons vers les rives du lac où nous attendent une table de pique-nique, une belle petite plage et un coin d’herbe. Le spot parfait pour la pause déjeuner… puis la sieste de l’après-midi… puis l’après-midi entière et finalement la soirée. La surface du lac sombre à notre arrivée se transforme en un miroir éblouissant sous les rayons du soleil. Alors que nous bronzons tranquillement, une biche fait irruption du bois tout proche et longe le petit arc de cercle qu’est notre plage pour se cacher dans un marécage tout proche. Elle passe si près de nous, grâcieuse mais rapide ! Quelques instants plus tard, ce sont deux petits faons tachetés, apeurés mais tout aussi véloces, qui suivent courageusement les traces de leur maman. Ils ont eu leur dose d’émotion pour la journée ! Tout comme nous ! Les filles profitent de la voie d’accès au lac, goudronnée et sécurisée, pour inventer un nouveau mode de locomotion, le vélo-cheval ou comment tenir le guidon du vélo avec une corde à sauter pour transformer leur deux-roues en fidèle destrier !! Nous ne comptons pas le nombre de kilomètres parcourus sur ces montures atypiques.  La lumière de fin d’après-midi est propice à une petite baignade dans les eaux peu profondes du lac. Les couleurs sont superbes. Quel sentiment de sérénité et de tranquillité dans ce petit coin d’Irlande ! Nous nous endormons bercés par le clapotis des vaguelettes et le martèlement discret des sabots des biches sur les berges du lac.

 Aujourd’hui, de toutes petites routes rurales et pittoresques nous emmènent au cœur de l’Irlande telle que l’on se l’imaginait : des petits lacs, de calmes rivières, des kilomètres de murs de pierres grises parfaitement rectilignes, des arbres millénaires au milieu de troupeaux de moutons peinturlurés, des cimetières aux croix celtes envahis de hautes herbes. Il ne manque plus qu’un petit air de harpe irlandaise pour nous accompagner. Nous savourons nos premières mûres, encore un peu acides sous ce climat pluvieux ! Nous apprécions les petits bourgs traversés comme Gort pour leurs pubs, qui nous apportent réconfort, chaleur et découverte gastronomique. Bon, on ne se lasse pas du Fish and Chips et nous amusons à comparer chacune des recettes, toujours présentées comme LA recette parfaite à la bière locale. Nous faisons le détour par le Coole Park, parc arboré et sauvage. Mais alors que nous profitons de la quiétude de ses pistes cyclables, le vélo de Manon fait des siennes. La roue ne tourne plus. Cela fait plusieurs jours qu’elle frotte et les roulements sont trop abîmés. On croise les doigts pour que notre réparation de fortune tienne jusqu’au soir et nous permette de rallier le coin de bivouac que l’on a repéré sur la carte : un vieux moulin, résidence du célèbre poète local William Yeats, que pour notre part, nous avons découvert quelques jours auparavant à Sligo ! Pari gagné ! C’est à la nuit tombante que nous arrivons sur les lieux, malheureusement fermés à cause du Covid et que nous montons la tente après avoir décroché l’autorisation de camper dans le petit jardin attenant. Un petit couscous et au lit ! 

Nous avons promis de lever le camp relativement tôt demain matin et c’est chose faite… à 10h00. Presque un record pour nous, surtout qu’il fait bien frais ! C’est en doudoune et Gore-Tex que nous déjeunons ! Heureusement que nous sommes en été ! L’étape du jour est quelque peu monotone et longue. Mais la promesse d’un cheesecake motive les troupes. C’est aujourd’hui aussi que nous retrouvons l’océan et la côte découpée de l’Irlande. Quel bonheur de sentir à nouveau l’air iodé ! Arrivés en fin de journée sur la péninsule de Rinville, nous assistons à une régate de dériveurs sous une magnifique lumière dorée. Nous décidons de camper le long de la promenade en contrebas des pelouses d’un golf !! Nous ne pensions pas que l’endroit était si passant. Le soleil revenu, les irlandais profitent de chaque instant surtout que sous ces latitudes, les journées sont longues. Il est 20h00 mais nous décidons de monter la tente plus tard et commençons à préparer le repas sous les regards amusés des promeneurs. Margaret et Tony entament la conversation une première fois, une deuxième fois et finissent par nous inviter dans leur jardin. Ils habitent à 5km, vont chercher leur van pour nous éviter de nous remettre en selle et viennent nous récupérer 20 minutes plus tard, juste le temps d’avaler rapidement notre plat de pâtes. Les filles sont surexcitées ! Leur pelouse est le paradis du campeur, moelleuse a souhait et leur maison à l’image de leur famille, chaleureuse et accueillante. Kate, l’une de leurs quatre filles nous prépare un chocolat chaud et nous faisons connaissance tous les 5. Les filles se régalent et écoutent attentivement, mais nous faisons encore office de traducteurs ! Nous parlons voyage car deux de leurs filles habitent en Nouvelle Zélande et en Australie. Margaret est aux petits soins avec nous et nous donne rendez-vous à 9h00 pour un petit déjeuner de luxe ! Après une nuit parfaite, c’est l’odeur du bacon grillé, des œufs et du café qui nous réveille ! Nous passons encore un merveilleux moment avec cette belle famille. Nous les remercions sincèrement de leur accueil si spontané et si généreux. Nous repartons le cœur léger, encore changé par cette nouvelle rencontre aussi éphémère qu’intense.

A nous la route côtière, ses péninsules alanguies, ses ruines envoutantes de châteaux et de chapelles et ses petits ports typiques. Nous atteignons celui de Killeenaran, conseillé par nos hôtes. Nous sommes encore une fois surpris par le nombre de courageux irlandais qui se baignent dès le premier rayon de soleil. Je peine à quitter ma goret-tex malgré le soleil car le vent reste frais, mais les filles braveront les éléments et se baigneront comme de vraies locales. Sur le parking, Ruth nous interpelle en français. Elle connaît bien la France et y a vécu pendant plus de 15 ans, son mari Patrick est français. Il n’est que midi mais elle nous propose, si nous n’avons pas d’autres projets, de camper chez elle ce soir. Elle en serait ravie. Ça tombe bien, nous sommes libres comme l’air et acceptons avec joie ! En attendant, nous profitons du coin paradisiaque qu’est cette petite péninsule. Le ciel s’est complètement dégagé, le vent est tombé et les eaux scintillent sous le soleil. Nous quittons même vestes et polaires. Nous scrutons en vain les eaux à la recherche d’un phoque ou d’un dauphin ! A pied, nous faisons le tour de la presqu’île ramassant comme à notre habitude cailloux et coquillages, nos trésors de voyage. Nous nous mettons ensuite en quête de la porte bleue de Ruth, que nous dénichons après quelques centaines de mètres. Le beau jardin arboré sera une fois de plus le coin idéal pour dormir ce soir. Encore une belle soirée de partage et un déjeuner de crêpes comme à la maison. Nous en apprenons davantage sur le système éducatif et sur la société irlandaise, en français en plus !  Nous sommes vraiment gâtés et apprécions à leur juste valeur ces instants précieux où le temps s’arrête. Ne comptent que l’échange et la richesse de la rencontre. Nous quittons nos hôtes avec des bracelets maison et un petit tableau peint spécialement pour nous par leur fille. Ces marques d’attention spontanées font également partie de nos trésors de voyage que nous chérissons particulièrement.

Nous partons pour quelques kilomètres seulement car nous arrivons au point final de notre épopée cycliste en terres celtiques.  Nous sommes partis sur les routes irlandaises en improvisant et en toute simplicité, sans ambition sinon celle de retrouver les sensations de la vie à l’extérieur et des rencontres avec la nature. Nous avons traversé des régions fort peu touristiques et authentiques.  Nous avons retrouvé en quelques jours les réflexes de notre périple de 1 an, les habitudes au campement, le plaisir de trouver le coin de bivouac idéal à nos yeux, et de nous émerveiller à 5 devant la beauté simple de la nature, ici un arc-en ciel, là une fleur gracieuse ou un coquillage biscornu. Comme nous l’avions éprouvé lors de notre long voyage, nous nous sommes sentis grisés par la sensation de liberté courageusement gagnée, offerte par le vélo et le camping. Toujours à notre échelle, nous roulons peu et lentement, plutôt poussés par le besoin d’être dehors et d’en profiter que par celui de l’effort physique à tout prix. Les départs ne sont pas toujours faciles, il faut se motiver car c’est aussi un effort de se mettre volontairement dans l’inconfort (tout relatif). Mais la récompense est toujours là et en cela, ces séjours itinérants deviennent initiatiques. Ces quelques jours de vélo ont réveillé en nous le plaisir des mois précédents et nous ont encore une fois montré la générosité des hommes quand on apprend à se faire confiance et à croire en l’autre, et que l’on se met à l’écoute de ceux qui nous entourent.

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par Anders Noren.

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