T’as voulu voir le Paramo…

On a vu le Paramo. Contrairement à la chanson de Brel, le Paramo fut époustouflant.

Nous allons vous raconter l’ascension, jusqu’à 3850 mètres d’altitude d’un massif montagneux, à la découverte d’une particularité écologique, un Paramo Colombien. Mais avant cela, je saisis l’occasion pour vous livrer LE secret des cyclo voyageurs. Comment grimper à 3850 mètres avec des vélos chargés à bloc, sur une piste sablonneuse ?

En physique simplifiée, on dit qu’il faut une certaine quantité d’ENERGIE pour monter à 3850 mètres.

ENERGIE = PUISSANCE x TEMPS

La puissance, c’est celle de nos jambes, avec l’avantage mécanique d’un bon rapport de transmission. Evidemment, notre PUISSANCE est limitée. Ce que l’on a en quantité en revanche, c’est le TEMPS. Le secret du cyclo voyageur peut se résumer ainsi :

Rien n’est impossible pourvu qu’on y accorde le TEMPS.

Jeudi 26 janvier, nous quittons Charala et nos amis Fredy et Zuly que vous avez découverts dans l’article précédent. Après un ultime ravitaillement au marché, nos roues empruntent la petite route plein sud qui s’engage dans la vallée remontant le rio Pienta. Nous avons de quoi nous nourrir pour 4 ou 5 jours, avec de bons repas les premiers jours, et des repas très basiques ensuite. A 1600 mètres d’altitude, on ne ressent pas vraiment la fraîcheur, et comme chaque jour, il nous faut trouver de l’ombre pour la pause méridienne. Aujourd’hui, c’est le préau d’une tienda en bord de route qui offre une ombre chaude.

Nous sommes alors à un point crucial, celui de LA décision : l’itinéraire de gauche très pentu, plus court et sans échappatoire mais avec l’assurance de voir le paramo… et la piste de droite plus douce, avec deux possibilités de changer de voies en cas de difficultés mais le paramo ne pourra être découvert qu’au prix d’un aller retour (ce que les cyclo voyageurs déotestent) de 800 m de dénivelés en plus…. la raison l’a emporté!! On a choisi l’itinéraire de droite. Et en route pour Virolin… nous sommes entourés de verts pâturages qui nous rappellent notre chère France à quelques détails prés tout de même. Ici, un bosquet de bambous géants, là quelques bananiers nous confirment que nous sommes bien en Colombie. Les versants ombragés sont également couverts d’une végétation luxuriante, où la fougère est reine. La pente de la piste est agréable mais c’est un mélange de galets et de sable. Alors heureusement qu’on a du temps parce qu’on ressemble plus à la tortue qu’au lièvre sur ces terrains. A la tombée de la nuit, après quelques recherches, nous campons sur une petite parcelle plate dominant toute la vallée quand elle s’enflamme au soleil couchant. Bon, soyons honnêtes, on campe littéralement sur les bouses de vaches et dans leur odeur!!

Ce matin, on est fin prêt et c’est une mitaine d’Héloïse qu’on ne retrouve pas au moment de partir. Comme quand on cherche le cahier de français avant le départ pour l’école. Ça a le don de nous énerver… sans véritable raison finalement… mais bon on réouvre les sacoches, on part en retard, il fait plus chaud et les mitaines sont importantes!! Finalement on la retrouvera un peu plus loin dans le champ, Héloïse l’a laissée traîner… et un chien a dû se l’approprier… Il y a très peu de trafic sur cette piste, hormis quelques camions-benne chargés, qui alimentent en gravas une zone de travaux plus haut. A force de nous doubler et de nous croiser plusieurs fois par jour, les chauffeurs de camions nous reconnaissent et nous encouragent à chaque passage. Ils doivent se dire qu’on n’avance pas beaucoup entre 2 passages…

La piste suit une rivière aux eaux rouges, couleur donnée par les tanins de certaines plantes. Des fougères arborescentes au port altier font leur apparition sur ses berges. Leur taille nous impressionne, résultat d’un ensoleillement maximal et d’une pluviométrie élevée en soirée. La vallée est parsemée de fermes, appelées fincas. Ce midi, nous demandons à l’une d’entre elles l’autorisation de nous abriter sous leur préau métallique.

Vanessa et sa grande fille Laura nous accueillent gentiment dans leur maison en construction en pierres et en bois, simple et très agreable. Nous discutons longuement de leur vie dans cette vallée, du voyage, de l’école à la maison. Laura à fait toute sa scolarité ainsi et est maintenant professeur d’anglais en distanciel, ce qui lui permet de rester vivre à la campagne. Pour agrémenter notre salade, elles cueillent dans leur jardin des concombres à farcir, légume hybride entre le concombre et le poivron, et nous font goûter de nouveaux fruits comme le uchuva, une sorte de physalis au goût piquant et sucré. Un régal!

Une fois que le soleil est moins brûlant, nous reprenons la route heureusement plus ombragée. La végétation se densifie, la fraîcheur est agréable. On est toujours impressionné par la différence de température entre l’ombre et le soleil, très agressif.

Au détour d’un virage, nous entrevoyons quelques cabanes de bois, très coquettes et toutes identiques. D’autres sont faites de bâches plastiques. Des jeunes, presque tous masqués, nous accueillent. Nous venons de pénétrer dans une communauté taoiste aux règles bien spécifiques. Nous demandons à y camper vu l’heure. On nous oriente vers le maître des lieux. Nous ne pouvons pas pénétrer dans l’enceinte du temple, en quarantaine depuis 3 ans à cause du covid. Alors on se charge de nous faire quelques courses de produits frais – pains, bananes et carottes. Et on nous conduit vers un préau où nous installer. Dans une anfractuosité de roches derrière une bâche, se trouvent les douches. Lucie trouve l’ambiance étrange… tout le monde est très prévenant et curieux de notre parcours et de notre mode de vie. Un couple vient nous offrir du lait de riz et des petits pains, que nous engloutissons tant nous sommes affamés. Leurs prénoms aux significations particulières restent un mystère pour nos oreilles. Ils nous expliquent leur philosophie de vie.

– Lui: Nous luttons contre l’ignorance et voulons apporter au monde les enseignements nécessaires à une vie plus en accord avec la nature. Nous défendons l’idée d’un esprit sain dans un corps sain. Nous sommes par exemple végétarien, la viande étant toxique et pouvant être remplacée. Qu’en pensez- vous?

– Fanny: nous essayons aussi de manger équilibré même si nous ne sommes pas vraiment végétarien. Mais de toute façon, en voyageant en vélo, nous consommons finalement peu de viande comme nous ne pouvons pas la transporter. L’accès à la culture et à l’enseignement nous semble aussi très important pour le développement des sociétés.

– Lui: nous sommes aussi sensibles à une spiritualité tournée vers les valeurs dictées par le maître. Et nous prônons une sexualité sacrée…

– Fanny : et sinon comment faites vous pour être autonomes en fruits et légumes..?

Autant vous dire qu’on a vite changé de sujet et que l’on n’a pas trop cherché à comprendre ce qu’était leur principe de sexualité sacrée.

Des hauts parleurs diffusent en continu de 4h00 du matin (bonjour le réveil!!) à 20h00 l’enseignement à retenir. Qu’en est il dans ces cas là de la liberté de penser et de conscience? Bien sûr tous ont accès à internet (on nous demande même si c’est Waze qui nous a conduit jusqu’ici!!) et sont libres de trouver d’autres sources d’informations. Ce que nous pensons primordial pour développer l’esprit critique… mais nous sentons bien qu’il y a quand même un seul enseignement à privilégier au sein de cette communauté. Nous ne retiendrons de notre passage que les valeurs qui nous sont chères: leur générosité et leur gentillesse, leur jus de lulo excellentissime, leur pain intégral qui change un peu du pain sucré colombien et leur douche/cascade revigorante. Pour le reste, nous les remercions de nous avoir permis des discussions passionnantes avec les filles sur la liberté d’expression et de penser, sur la tolérance et les mouvements sectaires. Nous ne prolongerons pas notre séjour. Le paramo nous attend!!

Il est là tout près, tout en haut! Et pourtant nous descendons !! Il nous faut encore franchir une vallée. Sur la route, un marchand ambulant nous vend bocadillos et arrequippe pour redoubler d’énergie. Nous pique niquons dans un champ et les voisins nous amènent des oranges avant de partir. Une voiture s’arrête pour nous offrir des bananes. Merci pour ces produits frais qu’il n’est pas si facile de trouver dans les petites tiendas croisées !! Au fur et à mesure que nous nous élevons, le panorama sur les montagnes vertigineuses et les vallées encaissées nous époustoufle. On se sent de plus en plus petit!!

Avec l’autorisation d’Adriana, nous camperons près d’une petite église. La vue est superbe et apaisante. Les grandes écrivent, nous filtrons un peu d’eau. Nous jouons avec Héloïse. Il est 18h00… Le réchaud est déjà en marche, toujours bruyant mais promesse d’un bon repas chaud avant la tombée imminente de la nuit. Nous sommes à 3000 metres… A 20h00, nous éteignons les feux!

Une goutte d’eau fraîche sur le visage, un plic ploc étrange… il pleut dans la tente mais pas dehors, tellement l’humidité ambiante est élevée. On s’éloigne de la gouttière et on se rendort jusqu’à l’aube. Nous déjeunons au soleil, l’un de nos moments préférés, quand le chant des oiseaux se fait entendre à nouveau, que les couleurs du ciel changent à chaque instant. Tout sèche très rapidement.

Si tout va bien, c’est aujourd’hui que nous verrons le paramo… c’est donc aujourd’hui que nous commençons un détour pour le simple plaisir de découvrir un nouveau paysage. Je suis à fond, les filles un peu moins, Damien promet des arepas au sommet (on espère que Google ne s’est pas trompé). A chaque nouvelle altitude, la végétation s’adapte. Pins et eucalyptus remplacent les arbres exotiques. L’odeur sucrée et piquante nous transporte aux Angles. A travers leurs branches, le ciel est d’un bleu éblouissant! On monte encore et on se croirait dans la garrigue. Les arbustes prennent le dessus, certains ressemblent à des buis. Et ça y est, nous apercevons nos premiers frailijones, de loin un mélange entre petit palmier et cactus. Je suis trop contente!! Et Google ne nous pas trahis. A l’ombre froide d’une tienda, nous engloutissons leurs derniers paquets d’arepas, ici, une sorte de pain fourré au fromage. Nous terminons aussi le paquet acheté un peu plus tôt, cuit au feu de bois. On goûte au fromage local, double crème, très bon… et nous nous engageons pour les derniers kilomètres.

Plus un arbre en vue. A cette altitude et sous ses latitudes, le soleil est très agressif pour notre peau mais aussi pour les plantes. Seuls certaines espèces survivent : des touffes d’herbes drue et piquante, des arbustes ressemblant à des genêts et surtout les fameux frailijones. De plus près, leurs longues feuilles d’un vert argenté sont extrêmement douces. On dirait de la feutrine. Elles montent vers le ciel, puis quand elles sèchent, elles retombent vers le sol sans se détacher, formant peu à peu le tronc de la plante. Sur certains plants, on peut admirer d’étranges fleurs jaunes toutes duveteuses elles aussi. Ces mini arbres ne dépassent pas les 2 mètres et on ne les trouve qu’à ces altitudes dans le paramo en Colombie et en Equateur. Nous sommes cernés par des hordes de frailijones, ressemblant à des petits bonhommes aux cheveux hérissés. Ils me fascinent.

Au col, des vallées sauvages à la végétation rase nous intimident. Nous nous imprègnons de l’ambiance des lieux seuls sur notre petit promontoire où nous allons camper. Seuls? Pas vraiment, une famille passe et repasse en voiture et finit par s’arrêter pour discuter un moment et nous offrir quelques provisions. Et puis, il y a Cachalu un chien au poil doré qui nous suit depuis le matin… Le bivouac mérite 3 étoiles et même plus dans la notation familiale: plat avec vue époustouflante et eau pure à proximité. On adore!!! Le soleil se couche doucement dévoilant de nouvelles nuances de couleurs et de formes… la température chute drastiquement; il est 18h00 quand nous passons à table, 19h00 quand nous nous couchons, non sans avoir admiré le ciel étoilé et remarquablement clair. Il fait -1° dehors. La nuit s’annonce glaciale. Et elle le sera. Pas de gouttelettes qui nous réveillent cette fois ci, elles gèlent immédiatement à l’intérieur du double toit. Une première pour nous! La température a du descendre sous les -5°. Au réveil, nous nous sentons comme dans un igloo et chérissons nos supers duvets. Personne n’a eu froid et tout le monde a bien dormi. On profite en amoureux du lever du soleil, et en famille d’un bon petit déjeuner. Mon rêve est réalisé, je suis comblee, nous sommes tous heureux et fiers de ce détour époustouflant. Nous nous sentons en parfaite harmonie dans ces lieux sauvages, aussi attrayants qu’hostiles!! Nous prenons le temps d’en savourer chaque image et chaque instant !

24 commentaires sur “T’as voulu voir le Paramo…

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  1. Belle découverte de ces espèces rares et magnifiques que sont les frailijones.
    Ta ténacité Fanny est récompensée mais quelle aventure, quels efforts endurés .BRAVO.
    Héloise, cette histoire de mitaine , cà nous a fait penser à une histoire de renard…
    Plein de bisous

  2. Époustouflant ce récit avec les belles photos, votre ascension sur ces pistes caillouteuses, vos rencontres parfois bizarres mais toujours généreuses.
    Un plaisir de vous lire…

  3. Magnifique détour effectivement ! Et merci pour les révisions sur la puissance, on n’avait pas encore fait beaucoup de physique chimie ici…

  4. J’ ai souri a la conversation ; de la sexualité sacrée tu te hâtes de passer Fanny a la culture des fruits et légumes, c’était tip top!!!!! bise à vous 5 du vieux chemin de Boule où tout y est calme.

    1. Oh oui j’ai vite changé de conversation. Je n’étais pas à l’aise avec le tour que prenait la conversation !! Bises

  5. Bravo !!! encore un très bel article … on a l’impression d’y être !!! et quelle magnifique aventure !!!

  6. Beau pari d avoir pris à droite ! La montagne ça vous gagne ! Merci pour ce récit ! Comment vont les arceaux ? Bises

  7. Whaouh !!on s’y croirait
    très bonne idée ce détour et bravo pour cette très belle aventure !!
    Merci à vous pour ce partage
    profitez !!!!!!!!

  8. T’as voulu voir… Grâce à vos écrits, témoignages, à vos magnifiques photos… C’est comme-ci on y était et les parfums, les différents parfums, on peut les percevoir, même les bouses de vaches !
    Merci à vous 5 ! Très bonne continuation. Patrick

    1. T’as voulu voir… Grâce à vos écrits, témoignages, à vos magnifiques photos… C’est comme-ci on y était et les parfums, les différents parfums, on peut les percevoir, même les bouses de vaches !
      Merci à vous 5 ! Très bonne continuation. Patrick

    2. Merci encore Patrick. Les parfums sont ce qu’il y a de plus dur à partager. Et ils font tellement partie du voyage. A très bientôt.

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par Anders Noren.

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